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I Histoire des sciences, les découvertes paléontologiques au Tchad.
Les faits
La Mission de Dalloni, professeur de géologie à l'université d'Alger,
au Tibesti (décembre 1930 - mars 1931), décrit les premiers fossiles
trouvés au Tchad. Il s'agit de fossiles de l'ère secondaire. Des
fossiles plus récents sont décrits à proximité du lac Yoa à Ounianga
en 1930. Dans les années cinquante, géologues et hydrogéologues
font état de nombreux fossiles dans le Sahara tchadien, notamment
dans le Djourab. Jean-Louis Schneider, du BRGM, laisse les travaux
les plus précieux sur le sujet avec notamment une carte localisant
des sites fossilifères. Yves Coppens commencera sa carrière ici.
Salé, cuisinier de la Direction des Mines et de la Géologie, offrira
à son épouse Françoise un caillou 'qui ressemble à un type'. Il
a mis au jour Tchadanthropus uxoris ('l'homme du Tchad de l'épouse'). Ce fossile bien mal fossilisé,
présenté comme ayant un million d'années, puis 300.000 ans, aurait
moins de 100.000 ans, selon des fossiles mis au jour au même lieu
par notre mission de janvier 2000 et présentant sa même texture
très particulière.
En 1991, le fondateur du Centre National d'Appui à la recherche
(CNAR), le Docteur Abakar Adoum Haggar et moi-même, soucieux de
relancer une recherche scientifique qui prenne en compte d'autres
secteurs que ceux de l'élevage (Laboratoire National de Recherches
Zoologiques et Vétérinaires de Farcha, lié à l'ex-IEMVT) ou de
l'agriculture (station de l'ex-IRCT à Bebedjia), décidons de choisir
d'intervenir dans l'approfondissement des connaissances sur le
volcanisme du Tibesti et sur celles des fossiles de la cuvette
tchadienne. Ces deux domaines paraissent en effet pouvoir donner
des résultats importants à court terme. Fin 1992, j'effectue une
longue mission dans le BET qui confirme l'intérêt de ces choix.
Je contacte alors le professeur Pierre Vincent, volcanologue,
auteur de la carte géologique du Tibesti et d'une thèse sur le
volcanisme de cette région, et le professeur Michel Brunet, qui
travaillait dans le Nord du Cameroun où il avait trouvé des dinosaures,
étant moi-même auteur d'une thèse de géographie sur cette région
après avoir travaillé onze ans à l'université de Yaoundé.
Les missions volcanologiques, entreprises dès 1993, connaîtront
leurs résultats les plus spectaculaires avec les découvertes de
deux impacts géants de météorites dans l'Ennedi, ceux d'Aorounga
et de N'Gwéni-Fada. Les missions paléontologiques ne débuteront
qu'en 1994, le professeur Brunet montrant alors des réticences
pour venir au Tchad. C'est en toute fin de la seconde mission,
en janvier 1995, que je ramène notre petite expédition de deux
véhicules et de six personnes dans le secteur dit de Koro-Toro.
Là, sur le site de KT 12, Mamelbaye Tomalta, chauffeur de la DRGM,
met au jour Australopithecus bahrelghazali, de son nom usuel 'Abel', en hommage à un minéralogiste de l'Université
de Poitiers décédé du paludisme en 1989 sur l'aéroport de Garoua
dans l'avion sanitaire qui aurait dû l'évacuer.
En janvier 1996, Mahamat Kasser, ingénieur à la DRGM, met au jour
sur le site de KT 13 un demi-maxillaire d'australopithèque, tandis
que, sur le site d'Abel, devant l'étudiant Franck Guy, je découvre
une prémolaire supérieure.
Ces premières missions n'ont été possibles que grâce à la participation
des moyens matériels de la DRGM-Projet Minier et de ses géologues
tchadiens, Ali Moutaye et Mahamat Kasser, que le Docteur Abakar
Adoum Haggar a sollicités. L'apport logistique de l'Armée française
permet en 1996 une mission plus importante. C'est à partir de
1997 que la découverte d'Abel donne les moyens financiers d'organiser
des camps dans le désert de janvier à mars et, pour plusieurs
dizaines de chercheurs, de donner accès aux zones fossilifères.
Ces missions lourdes ne mettent au jour aucun nouvel hominidé.
Même pas une simple dent !
En juillet 2000, j'organise une courte mission avec deux véhicules.
En font partie des personnels appartenant au CNAR : moi-même,
Docteur d'Etat, Fanoné Gongdibé, licencié es sciences, ingénieur
détaché de la DRGM, Ahounta Djimdoumalbaye, licencié es sciences,
et Mahamat Adoum. Fanoné met au jour le 20 juillet 2000 une mandibule
d'australopithèque que Michel Brunet me décrira comme étant celle
d'un mâle, l'holotype 'Abel' devenant alors une femelle ! (sort
qui était déjà arrivé à Lucy, notre 'cousine' devenue 'cousin').
Comme le fragement de maxillaire de janvier 1996, cette mandibule
n'a toujours pas fait l'objet d'une publication scientifique !
Début juin 2001, je convaincs le Docteur Baba El Hadj Mallah,
directeur du CNAR, de signer un ordre de mission pour les mêmes
hommes. Mon intention est d'explorer le contrebas d'un talus de
plusieurs dizaines de kilomètres dans le secteur dit de 'Toros-Ménala'.
Ce talus, visible sur les cartes et aujourd'hui sur l'imagerie
Google, en raison de la présence d'une couche dure et plane à
son sommet, nous servait de voie d'accès depuis 1997 mais il n'avait
pu faire l'objet d'un consensus permettant son étude systématique.
Lors de la mission de décembre 2000, Michel Brunet décide d'ailleurs
d'orienter les recherches futures dans la direction opposée. C'est
donc ce que feront les missions de janvier à février 2001.
Le contrebas d'un talus offrant des terrains plus anciens, dégagés
au fur et à mesure du recul du talus, il était pourtant intéressant
d'étudier ce secteur de manière exhaustive. Nous nous mettons
en route le 09 juillet. C'est le prêt d'un téléphone satellitaire
par une autorité tchadienne qui permet cette mission car depuis
des semaines le téléphone habituel, relevant du laboratoire de
l'université de Poitiers, était 'out of time'. Sans moyen de transmission,
la Coopération française n'aurait pas autorisé ce déplacement.
C'est ainsi que le 19 juillet 2001, l'équipe du CNAR met au jour
Sahelanthropus tchadensis, de son nom usuel 'Toumaï'. (Pour plus de détails sur les circonstances
de cette découverte, voir mon livre 'Toumaï, l'aventure humaine', paru en 2003 aux éditions de La Table Ronde, ou, en anglais,
le livre d'Ann Gibbons, 'The first human', paru aux USA en avril 2006 aux éditions Doubleday).
II Histoire d'hommes
Les récits légendaires
Les faits sont donc simples. Pourtant la lecture d'articles de
presse, l'écoute d'émissions paraissent accréditer des faits différents.
S'agit-il d'erreurs ou de la capacité de la langue française à
véhiculer du rêve ? Voici des siècles, trouvères et troubadours
ont fait de cette langue la base de leurs talents.
Le 11 juillet 2002, suite à une rencontre le 04 juillet 2002 avec
Michel Brunet, Madame Haigneré, Ministre chargée de la Recherche
et des Nouvelles Technologies, signe un communiqué de presse intitulé
'Félicitations au professeur Brunet pour sa découverte du crâne
de Toumaï'. Effet de titre que ne confirme en rien le texte !
Depuis 2002, selon les sources, c'est tantôt Michel Brunet qui
découvre Toumaï, tantôt il le découvre en association avec l'
'étudiant' Ahounta Djimdoumalbaye (rapport évident du maître à
l'élève), tantôt la découverte est faite par Michel Brunet et
son équipe, la MPFT.
Initié dès juillet 2002, un film est produit par la société Gédéon
: 'Toumaï, le nouvel ancêtre', un documentaire scientifique placé
sous le haut patronage d'Idriss Déby, qui apparaît à plusieurs
reprises dans le film. Il occupe les écrans TV de Belgique et
de Suisse dès les premiers jours de janvier 2006, la RTB et la
télévision suisse romande, co-productrices, l'ayant programmé
comme l'un des grands évènements des fêtes de fin d'année. Il
ne sera diffusé en France par France 2, également co-productrice,
qu'en mars. Depuis cette date, France 2 le commercialise sur internet
avec l'argumentaire suivant : 'Documentaire sur Toumaï, hominidé
découvert par le paléoanthropologue Michel Brunet et la Mission
Paléoanthropologique Franco-Tchadienne (MPFT).
Description du produit
Toumaï, âgé de 7 millions d'années, est la plus ancienne espèce
connue d'hominidé, et a été découvert par le paléontologue Michel
Brunet.
Lorsque Michel Brunet et la Mission Paléoanthropologique Franco-tchadienne
découvrent un crâne dans le désert du Djourab au Nord Tchad...'
Bien entendu le film ne montre rien de tel. Toumaï est là, dans
la main de Fanoné Gongdibé, dès les premières images. Tourné en
février 2004, le film a 'bénéficié' d'une belle tempête de sable
sans aucun rapport avec les conditions climatiques prévalant au
mois de juillet. Aux températures proches de 0° la nuit en février
s'opposent les plus de 50° C quotidiens de juillet... La presse
retient évidemment que la découverte a été faite par Michel Brunet...
En avril 2006, Ann Gibbons, rédactrice spécialiste de l'évolution
humaine à la revue américaine Science publie son livre retraçant toutes les grandes découvertes de
paléoanthropologie. Les conditions des découvertes faites au Tchad
sont décrites avec soin. Michel Brunet, qui n'a mis au jour aucun
fossile d'hominidé, y apparaît comme un chercheur affrontant des
conditions extrêmement périlleuses pour faire avancer la connaissance.
'Ses aventures sur le terrain sont légendaires... menacé par des
armes de poing au Tchad...', 'Année après année, il quitte son
laboratoire à l'université de Poitiers... pour retourner sur le
terrain, recherchant de nouveaux sites dans le désert du Djourab
au moyen d'un 4X4 fatigué avec à peine assez d'eau pour se laver
les dents', ... 'Les conditions sont décourageantes même selon
les critères de Brunet. Certaines années, les tempêtes enfouissent
leurs tentes, les piégeant à l'intérieur pour plusieurs jours
durant lesquels ils survécurent en consommant des pâtes et du
thon, du riz et des sardines. Quand ils sont finalement capables
de se risquer à l'extérieur...'. ('His adventures in the field are legendary ... threatened at
gunpoint in Chad', 'Year after year, he left his lab at the University
of Poitiers...to return to the field, even scouting new sites
in the Djurab desert in a rented four-wheel-drive car with barely
enough water to brosh his teeth', ... 'Conditions where daunting,
even by Brunet's standard. In some years, windtorms buried their
tents, trapping them inside for several days, where they survived
on pasta and tuna, rice and sardines. When they finally were able
to venture outside...').
En 1996 le projet de recherche a été équipé de quatre véhicules
4X4 neufs et depuis 2000 il n'est plus fait recours aux tentes
de l'Armée française. Les grands camps avaient pour effet de sédentariser
les équipes et de générer d'importantes contraintes logistiques.
De même, l'ULM, financé par la Région Poitou-Charente, a été rapidement
abandonné..., les conditions du désert ne lui convenant pas. Son
rendu pour le travail scientifique aura été quasi nul, les chercheurs
étant en plus surtout mobilisés pour son service. Il a fini par
chuter à l'intérieur du périmètre de l'aéroport de N'Djaména aux
mains, heureusement, d'un pilote très expérimenté.
Quant aux circonstances de la découverte d'Abel les voici : 'Alors
que le soleil se lève sur son bivouac dans le désert du Djourab,
Michel Brunet s'assoit sur son lit de camp et voit des nomades
apparaître au-delà des dunes avec leurs dromadaires, presque semblable
à une apparition dans la lumière du petit-matin. Dans un premier
temps, il se crispe, se demandant si ces femmes et ces hommes
arabes sont des combattants comme cette tribu du nord qui avait
engagé la guerre contre des tribus du sud pendant trente ans sur
cette terre désolée, la polluant de mines.... il réalise que ce
sont des chameliers goranes (c'était des Arabes, mais pourquoi
ce changement de 'tribu' ?) qui parcourt la région à la recherche
d'eau...'. Au cours de la prospection du site d'Abel nous ' faisons
attention de ne pas toucher quoi que ce soit de métallique au
cas où ce serait l'une des mines oubliées par les rebelles nordistes...'.
('As the sun rose over an open-air camp in the Djurab desert of
Chad, Michel Brunet sat up on his cot and saw nomads appear over
the dunes with their camel, almost like an apparition in the early-morning
light. At first he tensed, wondering if these Arab men and women
were members of the war-like northern tribe that had waged war
with southern tribes for thirty years on the desolate land, littering
it with mines.... he realized they were Gorane camel herders,
who romed the region in search of water....They were careful not
to touch anything metal, in case it was one of the mines left
by the northern rebels...)'.
Comment de paisibles chameliers arabes, allant en famille abreuver
leurs animaux au puits de Bir Soudan peuvent-ils être pris pour
de dangereux rebelles ? Pourquoi notre équipe doit-elle éviter
les objets métalliques, mines potentielles, alors qu'il n'y a
aucun objet métallique sur les sites ? Ainsi, sans que j'en aie
eu conscience nous l'aurions échappé belle en quasi permanence
! En fait, il s'agit de thèmes récurrents dans les déclarations
à la presse. Déjà l'hebdomadaire Time, dans son édition du 22 juillet 2002, décrivait le lieu de découverte
de Toumaï avec 'des morceaux rouillés de chars (sont) dispersés
tout autour, restes de trente ans de guerre civile'.
Mais tout ceci fait appel à des textes de seconde main. J'espérais
donc que Michel Brunet 'commettrait' un livre. Ce fut fait le
15 juin 2006 après qu'il eût 'cédé à la bienveillante pression
d'Odile Jacob'. Hommage m'est enfin rendu dans ce livre, où je
suis présent au fil du discours... sous des qualificatifs divers
et peu flatteurs, ce qui, bien que mon nom ne soit jamais cité,
a entraîné la reprise des ventes de mon propre livre.
Dans le domaine de la science, dès la deuxième page, le lecteur
a un petit frisson en constatant que les datations sont faites
par rapport à ... Jésus-Christ. Il est vrai qu'Abel et Toumaï
ont été baptisés ! Ils doivent être de bons chrétiens car ils
sont monogames (lectrices, soyez vigilantes, c'est une question
de longueur de canines) et par ce que déjà Toumaï vivait en famille
car nous avons retrouvé plusieurs individus sur un même site.
En fait, ces individus vivaient à quelques décennies, siècles
ou millénaires de distance, leurs fossiles étant recouverts de
gangues sédimentaires de nature différente....
Là, le Kruger Park d'Afrique du Sud est une 'immense réserve de
plus de 1000 km du nord au sud'... alors que la lecture des cartes
ne lui en donne guère plus de 400... Quant au delta de l'Okavango,
il serait la meilleure comparaison avec l'environnement de Toumaï
(mais le mégalac Tchad était profond alors que l'Okavango ne l'est
pas). Les parcs nationaux camerounais de Waza ou de la Kalamaloué
sur les bords du Logone et du Chari, voire le parc tchadien de
Zakouma, me paraissent offrir des milieux comparables et tout
aussi intéressants. Que leur manquait-il pour être le cadre du
film ? Le make in off de celui-ci nous l'apprend. Dans l'Okavango
des éléphants de cirque sont réintroduits dans le milieu... et
se prêtent bien à des mises en scène alors que les éléphants des
berges du Logone et du Chari ont déjà tué plusieurs Européens,
le dernier étant un officier de gendarmerie ! Les berges actuelles
du lac Tchad, parcourues par un troupeau relictuel d'environ 150
éléphants auraient offert aussi un cadre superbe. Cela aurait
incontestablement constitué une bonne publicité pour la région,
juste retour des choses de la part d'un homme qui doit toute sa
notoriété à la cuvette tchadienne !
Laissant le soin aux paléontologues de rectifier les erreurs,
le 'logisticien' ne peut malheureusement que constater que la
narration est peu fidèle à la réalité : erreurs de lieux, de dates,
de participants, de faits. Cela en est très étonnant. L'auteur
a-t-il donc appliqué à la narration de sa quête de nos origines
dans l'immense Sahara tchadien la même technique qu'à la narration
de son enfance : 'qu'importe après tout que je l'ai réinventée'.
Inutile de multiplier des exemples qui lasseraient, un seul suffit.
Il est édifiant !
'confronté à une menace, l'Homo sapiens redevient un homme pensant. J'en ai fait moi-même l'expérience
en 1994 en changeant seul le radiateur de ma Jeep qui venait d'exploser'
(page 154). Il est vrai que cela se serait passé 'au beau milieu
du désert, à 600 km du premier point d'eau et du garage' (même
page). Pourtant il ne devait pas être seul puisqu'il était dans
'un cortège de trois voitures' (page 50).
Bien que le désert tchadien soit grand, il n'y a pas de lieu qui
soit à 600 km du premier point d'eau. Il en est de même si on
prend en compte l'expression 'point d'eau ET garage'. D'ailleurs,
il doit y avoir peu de lieux sur Terre à plus de 600 km du premier
point d'eau...
Mais comme la scène se passe en réalité le dimanche 8 janvier
1995 en tout début de matinée à une quarantaine de kilomètres
au nord de Moussoro, où nous avions passé la nuit au camp du détachement
français, nous sommes dans la vallée peuplée du Bahr el Ghazal,
à guère plus de 300 km de N'Djaména. Le radiateur n'ayant pas
explosé mais simplement chauffé, nous sommes revenus chez ces
militaires qui nous ont déposé le radiateur défectueux. J'ai pris
ce radiateur et avec Ali Moutaye, ingénieur géologue aujourd'hui
Directeur des Recherches Géologiques, nous sommes revenus à N'Djaména
avec le second véhicule, celui du Projet Minier (notre 'cortège'
ne comptait en 1995 que deux véhicules). Ali est allé au marché,
a acheté un radiateur et nous sommes revenus à Moussoro le lendemain.
J'en ai profité pour prendre mon épouse, marocaine. Raison pour
laquelle trois nationalités étaient représentées lorsque Mamelbaye
Tomalta a mis au jour Abel le 23 janvier 1995.
Les militaires ont remis en place le radiateur et le mardi matin
nous reprenions la route pour Faya et la falaise de l'Angamma,
début d'une mission dont le succès génèrera toutes les missions
suivantes. Pendant notre absence, avec un VELERA ('véhicule léger
de reconnaissance et d'appui) de l'Armée française, Michel Brunet
est allé prospecter les ouadis de la région de Moussoro et en
a ramené des fossiles récents, ceux d'un hippopotame.
Alors, toujours page 154, où a-t-il vu 'parfois des petits groupes
de pillards qui naviguent, dotés d'une forte puissance de feu,
au milieu de la mer de sable' ...dans de 'clinquants 4X4' ? D'hommes
armés, nous n'avons croisé que l'Armée Nationale Tchadienne et
la Garde Présidentielle, toujours sur la grande piste N'Djaména
- Faya et sans jamais le moindre incident.
Toumaï est entré dans l'Histoire, il convient d'écrire celle-ci
sur des bases correctes sans laisser courir son imagination. Il
est vrai, le héros prenait ses précautions : 'Mon privilège, en
tant que chef de mission, c'est de dormir à l'abri de la roue
avant gauche (l'harmattan étant un vent d'orientation constante
ce détail semble indiquer que la voiture est toujours stationnée
dans le même sens...) de ma jeep, à portée du téléphone satellite
et de la balise Argos de détresse' (page 156), balise où le premier
signal codé concernait l'annonce de l'enlèvement de MB !
Tout ceci n'est qu'une dramatisation de situations plus ordinaires.
Faut-il prétendre risquer sa vie pour être un héros de la science
? D'ailleurs, comment l'Etat français aurait-t-il pu laisser ses
universitaires prendre autant de risques ? La recherche des fossiles
dans le Sahara tchadien ne relève pas des compétences d'Indiana
Jones.
Par mon travail de 'géographe logisticien', il ne s'est rien passé
de tout ce qui aurait pu arriver quand on laisse courir son imagination.
Cela méritait bien que mon travail soit reconnu. C'est ce qu'a
fait Michel Brunet, de manière très confidentielle, en 2005, dans
la revue de l'Académie des Sciences d'Afrique du Sud.
De fait, le 'logisticien' a maîtrisé les divers risques, du paludisme
à l'accident de voiture. Fièrement il peut dire qu'il a rendu
à chaque épouse son mari, à chaque parent son enfant. Il a dû
évacuer un seul malade depuis le Djourab, Michel Brunet, déploré
un seul accident nécessitant un retour à N'Djaména pour réparation,
une sortie de route de Michel Brunet. Il note que depuis son départ,
deux véhicules sont tombés d'une dune, sans faire de blessé heureusement.
L'un des dangers de la recherche en 'milieu extrême', et que Michel
brunet n'a pas signalé dans son livre, réside dans l'imagination
d'Homo sapiens, 'l'homme pensant' !
Quant au géographe, il a trouvé la plupart des sites fossilifères.
Quoi de plus naturel puisque c'était cela qu'on lui demandait
avant tout : faire passer les équipes là où il y avait du potentiel.
A lui donc le travail sur cartes, photographies aériennes voire
images satellitaires.
Dans son livre que dit Michel Brunet des circonstances de la découverte
de Toumaï? Rien de nouveau sauf qu'il dit clairement qu'il est
à Paris au moment de la découverte et qu'il précise qu'Ahounta
s'est isolé pour trouver le fossile. Sur un terrain plan, sableux
et sans végétation, sur lequel ce qui n'est pas sable est fossile,
devant une boule grosse comme un ballon de hand-ball, pourquoi
et comment fait Ahounta pour s'isoler de Fanoné qui est à quelques
pas de lui ? Mais le lecteur (le client) lit d'abord la quatrième
page de couverture qui commence par un texte signé Michel Brunet
: 'J'ai attendu vingt ans avant de trouver le premier pré-humain
fossile. D'abord Abel, puis Toumaï...' Les sites 'marchands' présentent
le livre avec ce 'Mot de l'éditeur : ... Michel Brunet, le découvreur
de Toumaï...' Plus prudentes, sur leur site internet, les éditions
Odile Jacob reprennent la 4e page de couverture en supprimant
la première phrase. Comme quoi...
Avec cette page de couverture, il ne faut pas s'étonner du nombre
de recensions dans lesquelles Michel Brunet est présenté comme
le découvreur de Toumaï. Le mensuel 'Science et vie', dans son
édition de septembre 2006, va plus loin, précisant : 'en 2001,
il exhume un autre 'inattendu' : Toumaï...'. Le Larousse doit-il
à l'avenir revoir sa définition : 'exhumer = extraire de la terre'
? (d'autant que le fossile était tout simplement posé sur le sable)
Il est vrai que le même commentateur nous apprend, sous forme
de citation, que Michel Brunet se 'consacre depuis quarante-quatre
ans'... 'à raconter aux hommes comment la séparation entre les
hominidés et les grands singes s'est opérée'. Ceci nous reporte
en 1962 lorsque l'auteur a 22 ans. Pourtant rien de tel dans le
livre où l'auteur nous décrit comment de 1966 à 1975 il a conduit
sa thèse de doctorat d'Etat sur les mammifères du Périgord !
C'est vrai, Michel Brunet a bien trouvé Toumaï mais cela s'est
passé fin août 2001 devant la porte de mon bureau à N'Djaména.
Michel Brunet a bien de la chance car certains chercheurs passent
toute leur vie sans avoir 'de grain à moudre'. Un chercheur n'est
pas un trouveur. Le Général de Gaule l'avait bien compris en déclarant
'des chercheurs, on en trouve, des trouveurs, on en cherche' La
République du Tchad et le CNAR avaient une équipe de trouveurs.
Alors pourquoi toute cette danse du scalp autour de la tête de
Toumaï ? Le philosophe Jacques Maritain a bien exprimé cette motivation
'Le principal n'est pas de réussir, ce qui ne dure jamais, mais
d'avoir été là, ce qui est ineffaçable'. Décrire un crâne aussi
magnifique que Toumaï n'est pas si difficile. Tout paléoanthropologue
peut le faire. Imaginer l'endroit où il est possible de le trouver
et réaliser la mission qui le trouve, en dehors de 'la fenêtre
climatique idéale du mois d'octobre au mois de mars', voilà qui
est plus difficile.
Herbert Thomas, sous-directeur honoraire du Laboratoire de paléoanthropologie
et préhistoire au Collège de France, consacre les dernières pages
de son livre 'D'où vient l'homme ? Le défi de nos origines' (Acropole,
2005) à la découverte de Toumaï. Après avoir précisé qu'entre
'l'inventeur et le découvreur, il n'y a qu'un espace étroit qui
permet à l'histoire de jouer sur les mots', il précise qu' 'en ce début du mois de juillet 2001 Alain Beauvilain et ses coéquipiers
ont apporté l'essentiel sans qui, sans doute, tout le reste n'aurait
jamais été'.
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