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Chronique d'une découverte
TOUMAÏ, L'AVENTURE HUMAINE
La mission de juillet 2000 à l'est du Bahr El Ghazal s'était déroulée
dans des conditions climatiques très favorables. Au lendemain
du violent orage du 14 juillet 2000, le sable avait été tassé
par la pluie tandis qu'un puissant flux de mousson avait considérablement
attiédi et humidifié l'air en même temps que son orientation inverse
de celle de l'harmattan avait gommé les rides sableuses de quelques
décimètres que ce vent crée tout au long de la saison sèche. Outre
les sédiments prélevés dans un chenal sur des sites de 4 à 5 millions
d'années, pour qu'ils soient triés à la loupe à N'Djaména dans
la perspective de trouver des fossiles de micro-mammifères (rongeurs,
insectivores), cette mission avait mis au jour une nouvelle mandibule
fossile d'hominidé.
C'est pourquoi une nouvelle mission de recherche, comprenant les
mêmes personnels du CNAR, est engagée en juillet 2001 par le CNAR
avec le soutien de la Coopération française. Cette mission devait
procéder, à l'ouest du Bahr El Ghazal, à la reconnaissance d'une
zone située au cœur du système dunaire du Djourab, au nord et
à l'est des sites fossilifères reconnus depuis 1997. L'intérêt de cette zone réside dans sa position topographique
en contrebas du seul talus important de la région, talus parfaitement
indiqué sur plusieurs dizaines de kilomètres sur les cartes topographiques
de l'IGN.
Extraits de la carte IGN au 1/200.000 NE 33 VI indiquant, en rouge,
les sites fossilifères découverts de juillet 2001 à mars 2002.
Les autres points colorés indiquent des sites découverts au cours
des années précédentes.
Aussi, bien que très proche de nos itinéraires d'accès aux principaux
sites de Toros-Menalla, mais séparée d'eux par un système dunaire,
une vaste zone inconnue subsistait, tenue à l'écart des cheminements
antérieurs par ses difficultés d'accès, notamment des zones de
sables ici peu porteurs, là formés de rides sableuses. La pluie
escomptée, les effets du flux de mousson sur les rides sableuses
et le minimum de matériel emporté par une mission ne comportant
que quatre participants devaient permettre une reconnaissance
aisée. Las, faute de pluie, les températures furent extrêmes comme
le montrent les données de la station climatologique de Faya,
oasis située à environ 250 kilomètres de la zone parcourue : températures
sous abri, minimum entre 23,5°C le 17 juillet et 30°C le 12, maximum
entre 41°C le 19 juillet et 44,3°C les 14 et 15 juillet ; températures
au sol : minimum entre 20,5°C le 13 juillet et 28°C le 11, maximum
entre 50,5°C le 11 juillet et 58°C les 14 et 16 juillet ; humidité
relative à 6 heures, minimale le 12 juillet avec 11%, maximale
le 20 juillet avec 58%, humidité relative à 12 heures, minimale
le 17 juillet avec 8%, maximale le 19 juillet avec 30%.
Aux températures fortes s'est donc progressivement ajoutée une
humidité relative de plus en plus élevée sans jamais toutefois
entraîner de pluie sur l'itinéraire. Par contre les nuits ont
été fréquemment troublées par de violents vents d'orages, vents
tourbillonnants véhiculant des gouttes d'eau depuis le centre
des orages pourtant localisés à une centaine de kilomètres.
Grâce à un nouvel itinéraire plus direct, la mission partie le
9 juillet de N'Djaména arrive le 10 juillet vers 13 heures dans
la zone fossilifère. Après avoir assuré le suivi d'un certain
nombre de sites connus, ce qui permet à la fois de mettre au jour
de nouveaux fossiles et de découvrir de nouveaux sites, elle s'engage
à partir du 14 juillet dans la reconnaissance de la zone nouvelle.
Des sites fossilifères particulièrement riches sont découverts.
C'est ainsi que les 16 et 17 juillet les véhicules ne se déplacent
pas puisque ces journées sont consacrées à l'inventaire provisoire
et à l'emballage de nombreux fossiles. Ces sites apparaissent
comme étant de véritables cimetières, notamment d'anthracotheriidae
(animaux intermédiaires entre le cochon et l'hippopotame qui ont
disparu voici 5 millions d'années) et d'hippopotamidae parfaitement
conservés, tous mis au jour sur les nouveaux sites de TM 254 à
TM 260. Ces sites, très proches les uns des autres puisque uniquement
séparés par des barkhanes (dunes en croissant), forment en fait
un nombre plus réduit de zones fossilifères. Une douzaine de kilomètres
sont parcourus le 18 juillet, journée au cours de laquelle cinq
sites sont découverts, tandis que le campement du soir est installé
sur une dune dominant un très vaste site, qui est alors sommairement
parcouru.
Le 19 juillet au lever du soleil, l'espace fossilifère à reconnaître
est partagé entre les quatre hommes. Presque aussitôt, à proximté
de fossiles d'anthracothères et d'anancus (Proboscidiens ou "éléphants
anciens"), Ahounta Djimdoumalbaye met au jour une tête particulièrement
bien conservée d'un hominidé. C'est ainsi que un an et un jour
après avoir mis au jour une nouvelle mandibule d'hominidé sur
des sites compris entre 3 et 4 millions d'années situés à l'est
du Bahr el Ghazal, 200 kilomètres plus à l'ouest sur des sites
de près de sept millions d'années, la même équipe de terrain du
Centre National d'Appui à la Recherche met au jour le cinquième
fossile d'hominidé tchadien sur le site de TM266. C'est Toumaï,
Sahelanthropus tchadensis.
La journée du 19 juillet est consacrée à inventorier et à emballer
les plus beaux fossiles de ce site dans des conditions climatologiques
extrêmes : 31°C et 53% d'humidité relative à 6 heures, 40° 5°C
et 30% d'humidité relative à 12 heures à Faya, maximum au sol
de 55°C ... Au total 141 fossiles. Toumaï, qui a passé toute la
journée sur son lieu de mise au jour, est emballé le dernier vers
18 heures après avoir, en quelque sorte, supervisé le travail
durant tout le jour.
La nuit qui débute sera la pire qu'ait connue l'ensemble des missions
paléoanthropologiques. Les orages, de plus en plus menaçants,
zébrent au sud le ciel de leurs éclairs tandis que de violents
vents tourbillonnants chargés de gouttes d'eau empêchent de trouver
une protection pour dormir. Au matin, tous les effets sont sous
le sable projeté au cours de la nuit, les véhicules fortement
inclinés par la déflation éolienne tandis qu'un souffle de mousson,
plus puissant que les plus forts vents de sable, parcourt la plaine.
Les réserves en eau, calculées au plus juste, ne permettant plus
de prolonger sans risque cette mission, et les deux véhicules
étant très lourdement chargés par les 560 très beaux fossiles
qui viennent d'être mis au jour, le retour sur N'Djaména débute
dès le 20 juillet. Une sommaire tournée de reconnaissance permet,
outre le site de TM 267, de prendre consceince de l'immense potentiel
fossilifère de cette région.
C'est alors que les problèmes débutent. Un pneu éclate après moins
de cinq kilomètres alors que, pour limiter le poids des véhicules,
seules deux roues de secours avaient été embarquées. Vers 12 heures,
le radiateur de l'un des véhicules entre en ébullition. La cause
n'en sera jamais trouvée et le problème ne se reproduira plus.
Le soir, la mission campe peu au sud de Salal. Le 21, vers 4 heures
30, le bivouac est préciptamment levé, un puissant orage s'annonçant.
Les véhicules commencent à filer dans l'aube noire qui se lève
mais très rapidement l'orage se déchaîne transformant le Bahr
el Ghazal en un fleuve improvisé d'eau et de boue. Il pleuvra
jusqu'à midi ! Après avoir dû tracter l'un des véhicules immobilisé
dans un ruz puis écopé une mare pour permettre le redémarrage
du véhicule qui y avait échu, ayant glissé sur l'argile, la mission,
à la tombée de la nuit, atteint Moussoro ayant parcouru 160 kilomètres
en 15 heures. Le 21, un second pneu éclate entre Massakory et
Massaguet .... La malchance s'arrête là. D'ailleurs les quatre
missions, qui se succéderont jusqu'en mars 2002, ne connaîtront
aucune crevaison. Toumaï luttait-il pour ne pas quitter la terre
qui l'avait vu naître et où demeuraient ses parents ?
L'orage du 21 juillet a créé de très sérieuses difficultés de
déplacement
(cliché Alain Beauvilain).
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Sahelanthropus tchadensis
La découverte par Ahounta Djimdoumalbaye.
"Du sommet des dunes aux abords du site 265 qu'ils avaient escaladées
pour scruter l'horizon, Mahamat Adoum et Fanoné Gongdibé ont découvert
un vaste terrain dégagé. Et c'est comme ça que nous sommes tombés
sur le site 266 vers 17 heures. Nous sommes arrivés là, nous nous
sommes installés. Alain Beauvilain et Fanoné sont descendus aussitôt
pour faire une inspection du coin. Mahamat et moi, nous avons
juste fait un petit tour dans les abords immédiats des véhicules
puis nous sommes revenus déballer les couchages et autres matériels
en vue de notre bivouac. Si la matinée a connu dès 7 heures une
tempête de sable dont l'intensité ira croissant et qui baissera
à partir de 16 heures, la nuit du 18 au 19 restera calme.
Le matin du 19, nous nous sommes levés et comme à l'accoutumée
nous avons pris notre café puis nous avons, par précaution, arrangé
nos bagages dans les véhicules pour éviter qu'une tempête de sable
ne vienne nous surprendre pendant que nous serions en pleine prospection.
Et Fanoné est parti très tôt, se dirigeant vers la partie sud
du site. Alain et Mahamat ont conduit les véhicules au sommet
d'une dune puis ont orienté leurs recherches vers le nord. Moi,
je me suis préparé, j'ai pris mon matériel puis j'ai suivi spontanément
Fanoné.
Aussitôt je me suis mis au travail mais je ne voyais rien de déterminant
comme fossile. Puis je vis une sorte de boule prise dans une gangue
noire, poséee là, devant moi. Je ne sais pas pourquoi la chose
a capté mon attention. Toujours est-il que je me suis approché
et à quelques mètres, j'ai remarqué deux rangées de dents, l'objet
étant placé à l'envers. Je me suis demandé ce que cela pouvait
bien être. Un maxillaire d'un individu du groupe des suidés (famille
des cochons) sûrement. J'ai touché, je trouvais la chose très
bizarre parce que totalement encroûtée.
J'ai détaché l'objet du sol car il adhérait à la couche sur laquelle
il était posé. Je l'ai retourné et c'est à ce moment que je me
suis aperçu que l'autre face laissait entrevoir, entre la masse
de concrétions qui le recouvrait, une surface osseuse. Et c'est
lorsque j'ai encore retourné la chose que je tenais entre mes
mains que j'ai vu les deux orbites, la fosse nasale et les dents
maintenant tournées vers moi.
Le 19 juillet 2001, Ahounta Djimdoumalbaye et Toumaï
(cliché Alain Beauvilain).
"Vu la forme des dents, les orbites et la fosse nasale, ça ne
peut être qu'un grand singe" me suis-je dit, évitant de raisonner
en termes de primate ou d'hominidé en attendant l'avis des spécialistes.
J'ai éprouvé sur le coup un soulagement parce que dès janvier
1999 lors de ma première mission avec l'équipe du professeur Brunet,
il m'a fait cette confidence : "Ahounta, c'est toi qui va le trouver.
S'il y a un primate ici, je suis sûr que c'est toi qui va le découvrir".
Ce que j'ai pris au départ pour de la blague et je n'y ai pas
cru. Puis un peu plus tard, au moment de monter dans le véhicule
qui devait l'évacuer à N'Djaména suite à une crise de dysenterie,
il me répète : "C'est toi qui va le trouver". Et je lui ai répondu
: "S'il plaît à Dieu". Et depuis ce jour, lorsque je remets les
pieds dans le désert, je sens une certaine pression et je demande
à Dieu de m'aider à faire une telle découverte. Je venais en quelque
sorte d'accomplir la mission dont m'avait chargé le professeur
Brunet.
J'étais donc seul avec le crâne. Je le regardais puis essayais
de voir s'il n'y avait pas un fragment à l'endroit où je l'avais
arraché. Puis je reportais mon regard sur lui pour le contempler.
Puis je revins à la réalité et me retournai pour faire des signes
à Fanoné qui était non loin de là mais totalement étranger à ce
que je vivais. J'y parvins enfin ; il arriva à mon niveau et je
lui criai "c'est la victoire ! Nous avons ce que nous cherchions
!". (N'Djaména Bi-hebdo, n° 603, lundi 15 - mercredi 17 juillet
2002. |
Les découvreurs
Alain Beauvilain, docteur d'Etat en géographie, maître de conférences à l'Université
de Paris X Nanterre, détaché depuis 1989 auprès du Ministère tchadien
chargé de l'Enseignement supérieur, a organisé depuis 1994 trente
missions de terrain pour le seul programme scientifique "Origine
et environnements des premiers hominidés" que dirige le Professeur
Michel Brunet de l'Université de Poitiers. Il a participé (à fin
mars 2002) à vingt-neuf de ces missions.
Mahamat Adoum, technicien en service au CNAR, a participé à vingt-trois de
ces missions de terrain.
Fanoné Gongdibé, ingénieur détaché au CNAR, licencié en sciences naturelles de
l'Université de Yaoundé, a participé à dix-huit de ces missions
de terrain.
Ahounta Djimdoumalbaye, technicien en service au CNAR, licencié en sciences naturelles
de l'Université de N'Djaména, a participé également à 18 de ces
missions de terrain.
Pour le nombre de participations aux missions de terrain, viennent
ensuite Patrick Vignaud, docteur en paléontologie de l'Université
de Poitiers et maître de conférences à cette université, et Mackaye
Hassan Taïsso, docteur en paléontologie de l'Université de Poitiers,
avec sept participations, le Professeur Michel Brunet, directeur
du programme scientifique, et Likius Andossa, doctorant à l'Université
de Poitiers, avec six participations, Philippe Duringer, maître
de conférences en sédimentologie à l'Université Louis Pasteur
de Strabourg, et Mathieu Shuster, docteur en sédimentologie de
l'Université Louis Pasteur de Strabourg, avec cinq participations,
etc ... (voir "VIII - Les participants aux missions de terrain").
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Le paléoenvironnement de Sahelanthropus tchadensis
Réalisation d'un sondage sur le site de TM266 par Philippe Duringer
et Alain Beauvilain (photo)
(cliché Philippe Duringer).
Les études sédimentologiques de la zone fossilifère de Toros-Ménalla
en général et de celle de la mise au jour de Toumaï en particulier,
études effectuées par Philippe Duringer et Mathieu Shuster, respectivement
Maître de conférences et doctorant à l'Université Louis Pasteur
de Strasbourg, avec l'appui permanent sur le terrain d'Alain Beauvilain,
montrent toutes les mêmes successions d'environnements : des phases
de désertification, y compris voici au minimum sept millions d'années,
et des phases lacustres se sont succédées au fil des millénaires.
Les sondages et les balayages effectués montrent tous les structures
en lits obliques des grès entrecoupées par des couches argileuses
horizontales riches en fossiles de poissons. En effet, aujourd'hui
comme hier, les barkhanes (dunes) présentent une structure interne
caractéristique liée à la capacité de transport de grains de sable
plus ou moins gros, de poussière et, ici, de diatomites (qui sont
hyper légères) par les différents vents en fonction de leur force.
Après avoir gravi le versant en pente douce de la dune, ces sédiments
se déposent en lits obliques dans la retombée en pente forte.
Ces structures dunaires fossiles sont immédiatement présentes
sous un très grand nombre de sites fossilifères de la zone de
Toros-Ménalla, les fossiles se trouvant à l'interface grès - niveau
argileux.
Structures litées de grès peu consolidés, témoignages de dunes
fossiles âgées d'environ 7 millions d'années
(cliché Alain Beauvilain).
Rappelons que pour la dernière période humide, les faits sont
bien connus puisque un (dernier) MégaTchad s'est développé en
deux cycles, de -12000 à -10000 ans BP et surtout après un léger
aride à partir de -7000 ans BP avec une extension maximale vers
-6000 à -5500 ans BP aux alentours de la cote 320 (voir notamment
les travaux de Jean-Louis Schneider). Ce lac s'est alors étendu
sur près de 330.000 Km2 et, nord-sud, de Bongor à Faya. Son niveau
maximum était limité par l'existence, à l'extrême sud, d'un seuil
de déversement vers la Bénoué par le Mayo Kebbi. Il a pu connaître
une profondeur de plus d'une centaine de mètres (plus que l'actuelle
profondeur de la Manche entre la France et l'Angleterre) dans
les Pays-Bas de la cuvette tchadienne, auourd'hui aux cotes 165
- 170 mètres. Ce MégaTchad est donc le dernier d'une série qui
débute voici au moins sept millions d'années.
Barres coquillières âgées d'environ 5.400 ans, marquant le retrait
progressif du dernier MégaTchad
(cliché Alain Beauvilain).
Les barres coquillières proches des sites fossilifères de Kollé
indiquent une régression à partir de 5400 BP, régression qu'ont
suivi les populations préhistoriques qui ont laissé des vestiges
impressionnants par leur ampleur (poteries, pierres taillées et
polies d'outils servant notamment à la pêche, scories de bas fourneaux,
...). Lorsque le niveau lacustre s'est trouvé inférieur à 280
mètres, le lac s'est scindé en deux ensembles, Nord Kanem - Pays-Bas
au Nord, lacs du Chari - Baguirmi au Sud avec entre les deux le
chenal du Bahr el Ghazal fonctionnant comme déversoir des lacs
méridionaux.
La tectonique quaternaire a repris les vieilles directions du
socle et joué un rôle important dans la morphologie actuelle :
affaissement de l'ensemble des Pays-Bas, visible avec les flexures
de l'Angamma et accru dans la topographie par la puissante déflation
éolienne liée au climat désertique qui s'est mis en place, sillon
du Bahr el Ghazal quasi rectiligne, sud-ouest-nord-est sur plus
de 400 kilomètres. Cette tectonique quaternaire est contemporaine
d'une importante phase volcanique au Tibesti.
Le passage rapide du dernier MégaTchad au désert donne une idée
du rythme des variations climatiques et des successions d'environnements
opposés qui en dépendent. Si les études montrent que le lac Tchad
n'a jamais disparu au cours des derniers cycles arides maintenant
toujours, comme aujourd'hui, une zone plus ou moins étendue très
favorable à la végétation et donc au développement de la vie animale,
les successions de très grands lacs et de déserts ont provoqué
des chocs environnementaux considérables sur les différentes espèces
animales. Les variations du dernier siècle sur l'organisation
de l'espace autour du lac Tchad, les écarts d'une année sur l'autre
occasionnés par l'ampleur de la crue, que se soit dans l'erg ennoyé
de la région de Bol ou sur les grandes étendues limoneuses de
la rive sud, traduisent sur le court terme les phénomènes de bien
plus grande ampleur qui ont existé au cours des derniers temps
géologiques.
C'est dans une telle suite environnementale qu'ont crû, multiplié
puis disparu toutes les espèces animales dont les fossiles sont
actuellement mis au jour. C'est dans ce tel contexte qu'a pu naître
l'espèce humaine.
Australopithecus bahrelghazali et Sahelanthropus tchadensis.
La première découverte, dénommée de manière informelle “Abel”,
est officiellement reconnue en novembre 1995 par une publication
dans la revue “Nature” avant que le fossile mis au jour ne donne naissance à une nouvelle
espèce d'hominidé baptisée Australopithecus bahrelghazali (l'“Austalo-pithèque du Bahr el Ghazal”) dans une note à l'Académie
des Sciences de Paris en mai 1996.
Sur le plan intellectuel, cette première découverte est extrêmement
fructueuse parce qu'elle rouvre le débat portant sur les origines
de l'homme et parce qu'elle élargit considérablement la zone potentielle
de recherche en l'étendant à l'ensemble du pourtour de la zone
africaine de forêt dense, que ce soit en Afrique australe ou dans
la bande saharo-sahélienne de l'Afrique centrale et occidentale.
La seconde découverte, dénommée de manière informelle "Toumaï",
annoncée par le Professeur Michel Brunet le 10 juillet 2002 lors
d'une conférence grand public à N'Djaména, en présence du Chef
de l'Etat tchadien et de l'ensemble des corps constitués, conférence
retransmise en direct et en intégralité à la télévision et à la
radio nationales, publiée dans la revue “Nature” le 11 juillet, confirme pleinement que la zone de recherche
des origines de l'homme doit être étendue hors de l'Afrique orientale
et australe. Les données géographiques que véhicule son nom scientifique,
Sahelanthropus tchadensis, "L'homme du Sahel tchadien", soulignent un milieu biogéographique
qui borde l'ensemble du Sahara. Le rôle des MégaTchad peut se retrouver dans les lacs comparables
qui ont existé au Mali et au Soudan. Logiquement, les recherches
paléontologiques devraient donc se redéployer sur cette partie
du continent africain.
Ces découvertes témoignent bien que si l'Histoire des origines
de l'homme est popularisée par la recherche du “chaînon manquant”,
dans les faits l'arbre généalogique de l'humanité repose sur le
hasard de la découverte de fossiles ici et là de par le monde,
pièces éparses de rares “chaînons existants” et presque toujours
incomplètes rendant difficile leur détermination.
En effet, la découverte d'un squelette presque entier est un événement
rarissime et scientifiquement considérable au-delà de moins cent
mille ans. Seuls six cas sont aujourd'hui connus, trois pour des
cercopithèques (Oreopithecus, mis au jour en Toscane (Italie) dans des terrains de moins neuf
à moins huit millions d'années, Mesopithecus pentelici, mis au jour en Grèce dans des terrains de moins sept millions
d'années, Paracololus cherneroni mis au jour au Kenya dans des terrains de moins quatre millions
d'années) et trois pour des hominidés (“Lucy”, Australopithecus afarensis, connu par les cinquante-deux os de son squelette fossile daté
de -3,2 millions d'années, “Nariokotome Boy”, squelette quasi
complet d'un jeune Homo erectus, âgé de moins de treize ans et mesurant 1,6 mètre, découvert
en 1984 au Kenya dans des terrains datés de -1,6 million d'années,
et “Little Foot”, squelette complet d'un australopithèque, mesurant
1,22 mètre, en cours de dégagement à partir de septembre 1998
dans les dépôts datés d'environ -3,5 millions d'années d'un puits
comblé de Sterkfontein, près de Johannesburg en Afrique du Sud).
Les autres restes d'hominidés connus se limitent à des pièces
très fragmentaires. Par exemple, pour Australopithecus bahrelghazali, il n'a été mis au jour, appartenant à trois individus différents,
qu'une mandibule avec sept dents, une prémolaire supérieure et
un fragment de maxillaire. En conséquence les difficultés d'analyse
sont très grandes et même pour ce qui concerne Lucy, décrite comme
une femelle d'une vingtaine d'années (en équivalent d'âge humain),
des paléontologues pensent qu'elle aurait pu être un mâle de quarante
ans.
Aussi l'arbre généalogique de l'humanité ou, plus exactement,
les divers arbres généalogiques proposés relient-ils par des pointillés
et des points d'interrogation les quelques chaînons existants
ou présumés tels. Il faudra encore de très nombreux témoignages
fossiles pour que la lignée évolutive menant à l'Homme actuel
soit parfaitement établie.
Il est intéressant de rapprocher le nombre de pièces mises au
jour de l'effectif de population initiale. Au Turkana oriental
(Nord-Est du Kenya), région particulièrement riche en trouvailles,
la proportion générale serait comprise entre deux dix-millièmes
et deux dix-millionnièmes, la proportion pour des crânes à peu
près complet mis au jour serait entre un cent-millième et un cent-millionnième
de la population ayant vécu là ....
Dans ces conditions, il convient de s'interroger sur la pertinence
des pièces mises au jour, individus se trouvant dans la moyenne
de leur groupe ou bien sur l'un des extrêmes. N'oublions pas que
si le volume du cerveau de l'homme actuel est en moyenne de 1.400
cm3, celui de l'écrivain Anatole France n'était que de 1.000 cm3
et que, par exemple, nous croisons chaque jour des individus de
taille très différente.
ToumaÏ, extraits de la revue de presse
Le Figaro, 11 juillet 2002.
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