PALEONTOLOGIE Le crâne d'un primate vieux de six millions d'années vient d'être découvert très loin des sites d'Afrique de l'Est


Le Tchad, berceau de l'humanité ?

Un crâne fossilisé d'un grand primate vieux de six millions d'années vient d'être découvert dans le désert du Tchad. Singe ? Hominidé ? Australopithèque ? Il est encore trop tôt pour placer cet individu dans l'arbre généalogique de l'espèce humaine. Mais si son grand âge est confirmé, sa découverte - au centre de l'Afrique et non point dans celle de l'Est - en ferait une pièce majeure pour reconstituer le puzzle de nos origines.


Fabrice Nodé-Langlois

C'est l'un de ces fossiles dont un paléontologue peut rêver toute sa vie sans jamais en rencontrer. Une pièce d'exception, même si la prudence est de rigueur étant donnée la fraîcheur de la découverte. C'était le 19 juillet dernier. Dans le désert brûlant du Djourab, dans la moitié nord du Tchad. Trois Tchadiens et un Français ont déniché un "véritable cimetière d'espèces aujourd'hui disparues". Depuis la découverte en 1995 de la mâchoire d'un australopithèque, surnommé Abel, dans ce même désert tchadien, les spécialistes savent que la région est une mine de fossiles.
Ce 19 juillet donc, le petit groupe tombe sur le crâne bien conservé d'un grand singe. Autour de cette pièce maîtresse, pas moins de 141 fossiles d'animaux sont prélevés. Certains d'entre eux permettent de faire remonter "sans ambiguité", selon le communiqué officiel, la couche géologique mise à nue par l'érosion à six millions d'années. S'agit-il d'un singe, d'un hominidé, parent éloigné des australopithèques d'Afrique orientale, ou d'un ancêtre direct del'homme moderne ? Une certitude, c'est le premier crâne de grand primate mis au jour dans cette partie du continent. Et il remonte à l'époque de l'émergence de l'espèce humaine. La découverte a en tout cas été jugée suffisamment importante pour que dès le lendemain du retour de l'expédition à N'Djaména, le 23 juillet, le crâne ait été présenté au ministre de l'Enseignement supérieur. Le 25 juillet, c'est le premier ministre tchadien en personne, Nagoum Yamassoum, qui a pu admirer le fossile.
L'ambassadeur de France au Tchad, Jacques Courbin, fait partie des rares privilégiés à avoir contemplé le crâne, la semaine dernière. Par respect pour les scientifiques et en bon diplomate, le représentant de la France n'a pas voulu livrer au Figaro de détails sur l'objet. Mais, enthousiasmé, il déclare que "c'est très émouvant d'avoir ça dans les mains. C'est un peu le graal pour un chercheur".

C'est le premier crâne de grand primate mis au jour
dans cette partie du continent

A quoi ressemble donc ce crâne ? Pour l'heure, aucune photographie n'a été diffusée. La presse tchadienne n'a pas été autorisée à le filmer. "Il est très sombre, entièrement fossilisé, racontait hier Baba Elhadj Mallah, le Directeur du Centre national d'appui à la recherche. "Le crâne est très volumineux et la dentition très développée". En première analyse, le fossile du Djourab a des caractéristiques plus "modernes" que le laisserait entendre son âge vénérable de six millions d'années.
Michel Brunet, le paléontologue réputé de l'université de Poitiers qui dirige la mission franco-tchadienne, mais qui ne faisait pas partie de la dernière expédition, n'a pas souhaité commenter la découverte. "Pour le moment, je n'ai pas de déclaration à faire", indiquait-il hier, très contrarié que l'information ait transpiré.
La découverte du 19 juillet n'est pas fortuite. Le désert du Djourab ne recèle pas moins de 200 terrains fossilifères datés à six millions d'années, expliquait récemment à N'Djaména Alain Beauvilain, coopérant, coordinateur sur place de la mission paléontologique franco-tchadienne. "Il y a un potentiel considérable, assure le français, qui a participé à la dernière découverte dans le Djourab. Ici nous ne fouillons pas comme au Kenya ou en Tanzanie depuis vingt-cinq ans." La coopération française a financé la construction d'une salle de collections paléontologiques. Sur de grands rayonnages en bois, des centaines de dents d'éléphants et de fémurs de bovidés s'entassent dans des casiers. Beaucoup sont datés à six millions d'années. "C'est déjà plus riche que le musée d'Addis Abeba en Ethiopie", poursuit Alain Beauvilain. Au Tchad, le temps des fouilles dans le Djourab est réduit aux quelques semaines où la température est supportable.
Avec ce nouveau fossile, les paléontologues disposent d'un échantillon plus riche en informations que les quelques dents ou fragments de mandibules qui sont le plus souvent retrouvés. Il faudra plusieurs semaines d'observations minutieuses et de comparaisons pour pouvoir déterminer à quelle espèce appartient le crâne, déjà connue ou nouvelle.