SCIENCES ET AVENIR août 2002
Toumaï, une femelle protogorille ?

Ambigu, Toumaï ? C’est Yves Coppens lui-même, pourtant l’un des signataires de l’article de Nature, qui le dit : «Il est assez pré-humain de face mais, de dos, il ressemble à un grand singe». Pour le découvreur de Lucy, «le statut exact de ce nouveau primate n’est pas encore assuré. Il pourrait aussi s’agir d’un ancêtre commun aux singes et aux hominidés, ou d’un singe primitif». ce qui aurait l’avantage de ne pas remettre en cause sa théorie de l’East Side Story.
Une question de sexe.

Ainsi, Brigitte Senut, du Muséum d’histoire naturelle de Paris, et Martin Pickford, du Collège de France, disent avoir été frappés, lorsqu’ils ont vu les moulages, par l’aspect très «gorille» du fossile, et notamment ses orbites très carrées aux coins arrondis. Toumaï présente encore, selon eux, à l’arrière du crâne, une grande superficie penchée et plate comme chez le gorille actuel, là où s’attache les muscles de la nuque. Une caractéristique absente chez les humains comme les chimpanzés et qui suggère que l’animal, quadrupède, avait des muscles puissants pour soutenir une grosse tête. Conclusion ? «C’est un crâne magnifique, mais on en a mal déterminé le sexe», expliquent les deux chercheurs, dont il faut rappeler qu’ils ont exhumé Orrorin tugenensis, grand rival de Toumaï dans la course à l’ancêtre de l’homme.
La petite canine et la face plate reflètent, selon eux, le dimorphisme sexuel observé chez les grands singes et ne constituent pas des caractères d’hominidés. «Chez tous les grands singes fossiles du Miocène, les femelles ont un museau plus gracile, une face plus verticale», argumente Brigitte Senut, spécialiste de cette période qui s’étend entre ­23 et ­5 millions. Elle prépare d’ailleurs avec Milford Wolpof, de l’université de l’Illinois, et John Hawks, de l’université du Wiscousin, une publication pour défendre cette thèse.
Ils se demandent ainsi si l’on n’a pas répété, avec Toumaï, la même erreur qu’avec le Kenyapithèque (15 Ma) et le Ramapithèque (12 Ma). Explications. Ces deux fossiles ont, tour à tour, été considérés comme des ancêtres de l’homme en raison de leur trogne aplatie … avant d’être disqualifiés pour raison sexuelle. «Le Kenyapithèque, découvert par Louis Leakey au Kenya dans les années 60, a eu son heure de gloire dans l’histoire de notre évolution, raconte Brigitte Senut. Jusqu’au début des années 70, il était considéré comme un hominidé à part entière. Toutefois, les caractères utilisés se sont tous révélés invalides, notamment sa petite canine, qui n’était pas un caractère d’hominidé mais de dimorphisme sexuel.»
Au cours des années 80, c’est au tour du Ramapithèque, un primate asiatique, d’être détrôné. Loin d’être l’ancêtre des australopithèques, comme le laissaient supposer son museau raccourci et ses petites dents, il se révèle n’être qu’une vulgaire femelle d’ancêtre orang-outang !

Une erreur répétée ?
Michel Brunet et son équipe ont-ils répété cette erreur d’interprétation ? Toumaï, l’Homme du Sahel, serait-il en fait une simple «paléogorillette» ? Le professeur de l’université de Poitiers balaie l’argument avec lassitude. «Notre fossile a un énorme bourrelet sus-orbitaire,explique-t-il. Plus épais que le plus épais des bourrelets jamais mesuré chez un gorille mâle.» En outre, cette barre osseuse n’a pas cette dépression à l’arrière ­ ou sulcus ­ caractéristiques des grands singes. «Sa constitution est plus proche de celle de Homo erectus», conclut le chercheur poitevin. Seule la découverte de plusieurs individus permettra de trancher. Yves Coppens conclut : «Si c’est un grand singe, c’est peut-être plus intéressant encore. Jusqu’à présent, dans la généalogie des singes, on avait un superbe pointillé sans personne sur des millions d’années