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				 Le plus vieux fossile d’hominidé mis au jour au Tchad. 
				 
				Carrément à l’ouest. 
				 
				La découverte, au Tchad, d’un crâne vieux de 7 millions d’années
				secoue fortement l’arbre généalogique de l’humanité. Ancêtre de
				l’homme ou des grands singes ? Toumaï est exceptionnel. 
				Rachel Fléaux 
				 
				Un fossile, un seul, peut-il bouleverser notre conception des
				origines de l’homme ? Célébré par les médias du monde entier,
				salué au Tchad comme un «héros national» !, applaudi à grands cris par la famille paléontologique, Toumaï,
				l’homme fossile du Sahel, a fait une entrée aussi remarquée que
				celle de Lucy en son temps (1974). «Il fait l’effet d’une bombe nucléaire dans le milieu de la paléo-anthropologie» s’extasie Dan Lieberman, de l’université Harvard (Massachusetts).
				«C’est une découverte qu’on ne peut comparer qu’à celle du crâne
				de Taung, le premier australopithèque exhumé, en 1924, par Raimond
				Dart et qui devait démontrer comme l’avait prédit Darwin  que
				nos origines étaient africaines», renchérit Bernard Wood, de l’université de Washington (Etats-Unis).
				 
				Mais qu’a-t-il donc de si révolutionnaire ce fossile, exhumé par
				une équipe franco-tchadienne, et qui a fait la une de la revue
				britannique Nature ? 
				En fait, le charme de Toumaï, c’est d’être un très vieil original,
				«carrément à l’ouest», comme égaré dans une zone géographique
				de l’Afrique occidentale que l’on connaissait jusqu’alors avare
				de fossiles. 
				Son grand âge, tout d’abord, est remarquable. Toumaï («espoir
				de vie» en langue gorane) a entre six et sept millions d’années,
				ce qui pourrait faire de lui non seulement l’aîné d’Ardipithecus ramidus Kadaba, vieux de 5,5 à 6 Ma (millions d’années), exhumé récemment en
				Ethiopie, mais aussi d’Orrorin tugenensis, alias Millenium ancestor, l’hominidé vieux d’environ 6 Ma découvert
				en 2000 au Kenya et jusqu’alors doyen le plus probable de la branche
				humaine. 
				Mais ce «droit d’aînesse» lui est déjà disputé. Toumaï a été arraché
				au désert tchadien. Une terre aride, où pas une couche de cendres,
				pas une strate de lave volcanique ne permet, comme dans la vallée
				du Rift en Afrique de l’Est, une grande précision dans la datation
				des sédiments. 
				Pour donner un âge au fossile, l’équipe de la Mission paléo-anthropologique
				franco-tchadienne (MPFT) dirigée par Michel Brunet, de l’université
				de Poitiers, a donc comparé la faune contemporaine de Toumaï à
				celle d’autres gisements fossiles, au Kenya et en Ethiopie, dont
				l’ancienneté est moins problématique. Cette datation, dite biogéochronologique,
				n’a pas la valeur d’une datation absolue au potassium et à l’argon.
				Et dans ces conditions, affirmer que Toumaï est plus proche de
				sept millions d’années que de six millions d’années est tout simplement
				hasardeux. 
				Qu’importe, le fossile du Sahel emporte l’admiration par bien
				d’autres aspects. Son petit crâne bosselé et ses dents forment
				une mosaïque unique de caractères simiesques et humains «qui permettent de le considérer comme proche du dernier ancêtre
				commun aux chimpanzés et aux humains, analyse Michel Brunet. Voire comme le tout premier représentant de la lignée humaine». Sa «gueule» sans précédent lui a d’ailleurs valu de recevoir
				un nouveau nom de genre et d’espèces : Sahelanthropus tchadensis, «l’homme du Sahel tchadien». 
				Le baptême a été prestigieux, sa publication ayant été cosignée
				par trente-huit spécialistes. Pourtant, d’autres paléontologues
				rechignent à accueillir Toumaï dans la famille préhumaine. Non
				qu’ils fassent la fine bouche. Pour eux ce fossile est «magnifique, exceptionnel». Mais parce qu’il serait un ancêtre grand singe. L’un de ceux
				que l’on désespérait de trouver car les sols acides des forêts,
				leur territoire, rongent généralement les ossements. Alors, ébauche
				d’homme ou protogorille ? Dans les deux cas, Toumaï est un trésor.
				«Avoir un visage à cet âge, c’est merveilleux», reconnaît le paléo-anthropologue Yves Coppens, professeur au
				Collège de France. 
				 
				L’«East Side Story» vacille. 
				Le plus piquant est que Sahelanthropus tchadensis a été exhumé à 2500 kilomètres à l’ouest du rift africain. C’est-à-dire
				que son petit crâne pourrait faire trébucher la séduisante «East
				Side Story» mise au point dans les années 80 par Yves Coppens.
				Selon cette théorie, la crise tectonique qui a déchiré l’Afrique
				il y a huit millions d’années a provoqué, à l’est, un assèchement
				propice à l’émergence des savanes, soit un territoire idéal pour
				que les futurs bipèdes se dégourdissent les jambes. Tandis qu’à
				l’ouest les forêts humides et tropicales voyaient éclore les lignées
				de nos cousins grands singes, les chimpanzés et les gorilles. 
				Aïe ! si Toumaï est bien un hominidé, ce scénario, dominant depuis
				vingt ans, s’effondre. «Seul le côté géographique de l’East Side Story est remis en question,
				et scientifiquement, c’est le moins important, corrige Martin Pickford, paléontologue et maître de conférences
				au Collège de France. Pour le reste, Yves Coppens postulait que la divergence entre
				les hommes et les singes était survenue il y a 7 à 8 Ma. Ce fossile
				vient lui donner raison.» Il renvoie du coup les biologistes moléculaires à leurs chères
				études : selon leurs calculs, la divergence entre les hommes et
				les grands singes serait survenue plus tardivement, il y a environ
				5 millions d’années seulement. 
				«Sur le plan écologique, la théorie reste toujours valide, poursuit Martin Pickford. C’est parce que le milieu forestier s’est ouvert que l’évolution
				de nouvelles formes primates a pu avoir lieu. Simplement, le phénomène
				ne s’est pas limité à l’Afrique de l’Est.» L’étude de la faune et de l’environnement menée par Patrick
				Vignaud, de l’université de Poitiers, a montré que Toumaï vivait
				au bord d’un lac où pullulaient poissons et crocodiles, mais aussi
				aux portes du désert. Son milieu était probablement celui des
				forêts-galeries et des savanes arborées. Des études ont été lancées
				pour tenter de comprendre si la barrière du rift était plus perméable
				que supposé, ou si la faune est-africaine a réellement évolué
				isolément de celle du Tchad. 
				«Le berceau de l’humanité s’est simplement agrandi, explique Michel Brunet, curieusement modeste après le battage
				nationaliste orchestré au Tchad autour de Toumaï. La localisation de nos origines restera sans réponse, comme
				pour beaucoup d’autres mammifères.» C’est à la seule ténacité de ce chercheur, qui a fouillé seize
				ans durant l’hostile désert tchadien, que l’on doit la découverte
				d’Abel, l’australopithèque âgé de 3 à 3,5 Ma en 1995, puis celle
				de Toumaï. De quoi démontrer avec brio que les premiers hominidés
				occupaient un territoire beaucoup plus vaste qu’on ne le pensait. 
				 
				Fenêtres sur ancêtres 
				«Nous disposons désormais de quatre fenêtres sur l’Afrique pour
				comprendre l’histoire de nos origines, se réjouit l’anthropologue américain Bernard Wood. L’Afrique du Sud où fut découvert le premier australopithèque.
				L’Afrique de l’Est qui regorge de fossiles et a livré, outre Lucy,
				le tout premier Homo. Le Malawi, où l’on a trouvé un autre “homme”,
				Homo rudolfensis, et des paranthropes, sortes d’australopithèques
				robustes. Enfin, grâce à Brunet, le Tchad.» 
				Le foisonnement de fossiles, réjouissant, complique toutefois
				l’affaire. «L’évolution humaine n’a plus rien à voir avec la progression linéaire,
				chaînon par chaînon, que l’on imaginait voilà quarante ans, analyse Bernard Wood. En réalité, il s’agit d’un buisson, d’une ménagerie d’espèces
				allant dans tous les sens. Savoir dans le lot ce qui relève ou
				non de l’humain est encore sujet à débat.» L’histoire de nos origines se révèle, en fin de compte, tout
				aussi complexe et difficile à démêler que celle de n’importe quel
				autre groupe d’organismes… 
				«Sahelanthropus pourrait appartenir au tronc humain, mais à mon
				avis, on n pourra jamais le prouver», tranche l’anthropologue. 
				Le modèle buissonnant voit en effet l’évolution humaine comme
				une série de radiations adaptatives successives, c’est-à-dire
				des diversifications évolutives en réponse à de nouvelles circonstances,
				climatiques notamment. Les traits anatomiques se sont alors mêlés
				d’une manière que l’on commence à peine à comprendre. Des adaptations
				clés comme la bipédie, la dextérité manuelle ou l’accroissement
				du volume du cerveau ont certainement pu évoluer plus d’une fois.
				C’est-à-dire qu’elles ont pu survenir, simultanément ou non, chez
				des genres et espèces différents ! «Du coup, explique Bernard Wood, le fait qu’une créature possède plusieurs traits d’hominidé n’est
				plus suffisant pour identifier une nouvelle espèce comme étant
				l’ancêtre direct de l’homme moderne.» 
				Bien malin qui pourrait alors, au sein de cette diversité, distinguer
				nos aînés. Il faut s’y résoudre : la quête du grand ancêtre de
				l’homme pourrait bien être aussi vaine, aussi mythique, que celle
				du Graal. 
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