LIBERATION jeudi 11 juillet 2002
Le plus vieil hominidé jamais trouvé a 7 millions d'années, soit près de 4 millions de plus que Lucy
Toumaï, un nouvel ancêtre sort du désert tchadien
Sa découverte en Afrique centrale remet en cause la théorie du berceau de l'humanité à l'est du continent.

Par Sylvie BRIET

Il a sept millions d'années, il s'appelle Toumaï et vient d'être découvert au Tchad par une équipe franco-tchadienne. Le père de l'humanité ? C'est en tout cas le plus ancien hominidé connu à ce jour. Un nouveau venu plein de surprises : né bien à l'ouest du berceau présumé de l'humanité, en Afrique de l'Est. Beaucoup plus vieux que Lucy qui n'a que 3,2 millions d'années (!), il ne ressemble à rien de connu, à la fois très primitif et très évolué. Ni singe ni australopithèque, les chercheurs lui ont donné un nouveau genre : Sahelanthropus tchadensis... (1).

Enthousiasme. Selon Michel Brunet, professeur à Poitiers (2) à la tête de l'équipe de découvreurs, pas de doute : «On peut le considérer comme le plus ancien représentant du rameau humain.» Avis enthousiaste partagé par des scientifiques américains pourtant peu complaisants avec les chercheurs français. Pour eux, il s'agit de la découverte la plus importante en paléontologie depuis 1925, date à laquelle Raymond Dart exhumait en Afrique du Sud l'enfant de Taung, le premier australopithèque jamais trouvé, celui qui a placé nos origines en Afrique. «Michel Brunet est un héros, s'enthousiasme Dan Lieberman, de Harvard, il ne cherche pas ses clés sous le réverbère parce que la lumière est meilleure, et en Afrique il est le seul à avoir cherché là où les conditions sont difficiles.»

Toumaï est en effet apparu dans le désert de Djourab, à deux jours et demi de route de N'Djamena : 800 kilomètres de piste avec la nourriture, l'eau, le matériel, les tentes, en hiver de préférence, quand il ne fait pas trop chaud, raconte Mackaye Hassane Taïsso, membre de l'équipe, maître assistant à l'université de N'Djamena. Dans ces régions politiquement peu stables, l'armée française sait toujours où se trouvent les chercheurs. Pour trouver les sites, les scientifiques se basent sur d'anciens rapports établis par des géologues, sur ce que racontent les nomades qui passent avec leur caravane de dromadaires.

Tempête. Les vents violents soufflant jusqu'à 100 km/h découvrent du grès : c'est là, entre les dunes, que se concentrent les recherches et qu'il faut avoir l'oeil. Et vite, car le paysage change au gré des tempêtes de sable. Pour dégager les surfaces, «nous devenons des balayeurs du désert», explique un des paléontologues géochimistes qui a participé à certaines expéditions.

En juillet 2001, Ahounta Djimdoumalbaye, étudiant de N'Djamena et meilleur chasseur de fossiles, a trouvé le crâne du nouvel hominidé, sans doute un mâle. Avec le reste de l'équipe, ils ont également mis au jour dans un espace d'environ 500 mètres carrés de surface deux fragments de mâchoire inférieure, trois dents isolées. Un trésor... Michel Brunet a baptisé ce nouvel ancêtre Toumaï, ce qui signifie en langue goran «espoir de vie», le nom donné aux enfants qui naissent juste avant la saison sèche.

De quoi avait-il l'air ? Difficile à dire. A peu près la taille d'un chimpanzé, mais il ne lui ressemble pas, ni au gorille ni à aucun des hominidés plus récents décrits. Sa capacité cérébrale est petite, comparable à celle des chimpanzés actuels, mais, en revanche, il possède des traits beaucoup plus évolués comme les canines avec des couronnes sensiblement de la même hauteur que celle des autres dents, contrairement aux grands singes. La couche d'émail des dents d'épaisseur moyenne, les canines petites, la base du crâne longue et horizontale indiquent son appartenance au rameau humain. Selon Dan Lieberman : «Cet hominidé a la face d'un Homo habilis (deux millions d'années), c'est extraordinaire, il a des traits plus proches de l'homme que les australopithèques, pourtant plus récents.»

Il y a sept millions d'années, cet ancêtre vivait dans un environnement très différent du désert actuel. Le lac Tchad, réduit aujourd'hui à 5 000 kilomètres carrés, occupait encore il y a cinq mille ans une superficie de 400 000 kilomètres carrés. L'endroit abritait de nombreux animaux aquatiques, poissons, crocodiles, tortues. Mais aussi des carnivores, des éléphants, chevaux, antilopes, hippopotames, singes...

Evolution. C'est en étudiant les dents de toute cette faune que les spécialistes ont pu reconstituer l'environnement dans lequel Toumaï vivait. Il y avait donc un lac et, à côté, de la savane, à en croire les dents des animaux mangeurs d'herbe retrouvés sur les lieux (3). Il y avait aussi de la forêt, comme le laisse entendre la présence d'animaux mangeurs de feuilles. C'est ensuite en comparant le degré évolutif de la faune avec celui des faunes d'autres sites africains connus (Kenya, Ethiopie) que le nouvel hominidé a pu être daté. Lui trouvera-t-on des parents ? L'aventure ne s'arrête pas là. Michel Brunet a repéré plus de trois cents sites à vertébrés fossiles: il n'a pas fini de balayer le désert.

(1) Nature du 11 juillet 2002.

(2) Michel Brunet dirige la mission paléoanthropologique franco-tchadienne (MPFT).

(3) Indiqué par un taux de carbone 13 élevé dans l'émail.