LIBERATION jeudi 11 juillet 2002
Michel Brunet, l'homme de l'Ouest
Depuis des années, ce chercheur français passionné fouille au Tchad.

Par Catherine MALLAVAL

«L'absence de preuve n'est jamais la preuve de l'absence.» Il y a des devises qui vous poussent à faire des rêves, et des rêves qui parfois se réalisent. Voilà toute l'histoire du paléontologue Michel Brunet, 63 ans, chahuteur de théories, qui jamais ne tint pour acquis que l'homme avait poussé son premier cri dans l'Est africain. Chercheur terriblement opiniâtre de fossiles là où personne ne les attendait. A mille lieues de ces chantiers de fouilles kenyans ou tanzaniens où les paléontologues se font des guerres de territoire dans l'espoir d'y dénicher un beau crâne, voilà maintenant près de dix ans, qu'il écume les déserts du Tchad. Avec son vieux marteau de paléontologue, son chèche, son coupe-vent, ses lunettes de ski pour protéger son regard bleu des vents de sable. Avec une équipe de fidèles, dans laquelle il a pris soin d'intégrer ses «amis» tchadiens. Avec un tel succès qu'aujourd'hui Michel Brunet, c'est l'homme de l'Ouest (africain s'entend).

Pourtant, longue fut la traversée du désert de cet ancien chercheur de restes de mammifères paléolègnes (trente millions d'années), qui partit en vain chasser du ramapithèque en Afghanistan. Malchanceux qui avala ensuite durant près de dix ans des kilomètres de jeep au Cameroun et au Nigeria, où il tamisa des tonnes de sédiments sans y trouver le moindre bout d'os ancestral. Malheureux qui perdit tragiquement en 1989 son meilleur ami, le géologue Abel Brillanceau, lors d'une campagne de fouilles, et en garde encore «un profond sentiment d'injustice. C'est moi qui l'ai fait venir, lui qui y est resté». Mais depuis janvier 1995, Michel Brunet, du laboratoire de géobiologie, biochronologie et paléontologie humaine de Poitiers, est devenu un chercheur comblé.

«Qu'Allah vous porte bonheur.» C'était au petit matin. Au lever du jour, s'est-il souvent plu à raconter, des nomades étaient passés. Les hommes avaient offert le thé, les femmes du lait de chamelle. Avant de repartir, ils avaient dit : «Qu'Allah vous protège et vous porte bonheur.» Et la chance fut. Une heure après le départ des nomades, le sable de Koro-Toro, nord du Tchad, livrait une mandibule. Sacrée mâchoire qui parla d'emblée à Michel Brunet : «J'ai tout de suite su que j'avais affaire à un australopithèque

Abel. Enfin, l'homme tenait sa preuve : un ancêtre de l'homme de plus de trois millions d'années avait vécu là, fort loin du présumé couffin originel. En hommage à son ami géologue, il le baptisa Abel. Mais d'Abel le jeune, Michel Brunet n'aurait su se contenter. Alors, le voyageur est reparti. Pendant sept ans, il a gratté dans l'espoir de trouver des frères d'Abel encore plus vieux. En juillet 2001, enfin, les restes de Toumaï sont sortis des dunes du désert de Djourab. Encore une fois dans le nord du Tchad. Dans ce pays à qui il a réservé hier la primeur de sa découverte. Là où il a souvent souffert de l'extrême rudesse du climat. Mais «pour moi, disait-il déjà du temps d'Abel, c'était sans doute moins dur que pour les autres, parce que j'avais un but et que j'y croyais».