Le Monde 11 juillet 2002
Trois questions à …Yves Coppens.

Propos recueillis par Hervé Morin.

1 Titulaire de la chaire de paléontologie au collège de France, vous cosignez l’article décrivant le nouveau fossile. Quelle est la portée de cette découverte ?
C’est un joli petit crâne de sept millions d’années. Les avis divergent sur son origine. Pour Michel Brunet, qui dirige l’équipe qui l’a découvert, ce serait un pré-humain, pour d’autres, il s’agirait plutôt d’un pré-grand singe. Pour d’autres encore, on se trouve en face de quelque chose apparu avant. J’ai plutôt tendance à suivre Brunet. Mais c’est une question difficile : on se trouve à la fourche qui sépare les humains des singes, c’est fascinant.
2 La découverte de ce fossile ne remet-elle pas en cause votre théorie de l’ «East Side Story», selon laquelle les premiers humains, capables de marcher debout, seraient apparus dans l’Est africain en raison d’un changement d’environnement ?
Cela peut vouloir dire mille choses. Notamment que l’ «East Side Story» n’existe pas. La réalité de l’isolement de l’Afrique orientale, sous l’action du soulèvement du rift, est incontestable. La spéciation, c’est-à-dire la formation d’une espèce nouvelle, est due à un isolat : les êtres ont un moindre choix d’alliance que ceux restés à l’extérieur, une divergence apparaît, qui peut atteindre le niveau spécifique ou sub-spécifique, comme en Australie et à Madagascar. L’Afrique de l’Est a connu un assèchement vers 6 millions d’années et on a assisté à un isolement dit péripatrique : les êtres qui vivaient là ont été séparés de leur patrie par une coupure géologique.
3 Comment expliquer dans ce cas la présence d’un fossile aussi ancien à l’Ouest ?
C’est effectivement une surprise. Mon collègue David Pilbeam avait affiché sur la porte de son bureau la devise «Always expert the unexpected» : un scientifique doit être capable d’attendre ce qui est inattendu. Il faut savoir changer son fossile d’épaule. Nous sommes face à trois hypothèses. Ou bien il s’agit d’un pré-grand singe et, dans ce cas, tout est en ordre. Ou bien il s’agit d’un hominidé qui a passé la barrière, et il faut envisager un déploiement des pré-humains dans la savane qui fait auréole autour de la forêt. Ou bien on est dans laphase qui précède la fourche entre homme et singe.
Nous avons mis de jeunes chercheurs sur l’étude de l’endémisme ou non des animaux supérieurs dans cette zone, pour voir dans quelle mesure la barrière a été étanche. Mais la conclusion est déjà qu’il s’agit d’une très belle découverte, que ce fossile soit de gauche ou de droite.