Journal des Africanistes

Journal des Africanistes 73-1, 203 : 167-194

Roger Joussaume

BEAUVILAIN, Alain, 2003, "Toumaï, L'aventure humaine", éditions de La Table Ronde, Paris.

La paléo-anthropologie de terrain au Sahara est une archéologie assez spéciale. Elle consiste à arpenter le terrain, souvent dans des conditions de températures et de tempêtes de sable particulièrement éprouvantes, à la recherche de fossiles. Elle nécessite le concours du géologue et du zoologue qui détermineront l'âge de l'horizon fossilifère, du sédimentologue pour connaître plus précisément l'organisation et la nature des dépôts, du taphonomiste pour mieux saisir l'histoire de ce fossile et de bien d'autres spécialistes encore. Quant à l'étude anthropologique de l'ossement fossilisé, sa détermination précise, elle se fera essentiellement en laboratoire et nécessitera souvent un très long travail scientifique par une équipe de différents spécialistes et par confrontations avec bien d'autres. Ainsi celui qui détermine précisément le fossile n'est pas toujours, et même rarement, celui qui l'a découvert sur le site.

Malheureusement l'Histoire ne retient généralement que celui qui étudie le fossile, c'est pourquoi le père de Lucy est Yves Coppens en France, Donald Johanson aux Etats-Unis et celui d'Abel et de Toumaï est Michel Brunet alors qu'il n'était pas sur le site qu'il ne connaissait même pas, si j'ai bien compris, au moment de la découverte. Cette notoriété médiatique, dont ne bénéficie que le spécialiste en anthropologie, paraît quelque peu usurpée aux yeux de ceux sans qui il ne serait rien de plus qu'un spécialiste en anthropologie.

Le livre d'Alain Beauvilain relatif à la découverte de Toumaï, comme l'avait été celui de Maurice Taïeb par rapport à Lucy, est le reflet même de l'amertume de ceux qui restent dans l'ombre alors que les médias rendent hommage au « chef »... Ce sont les généraux qui gagnent les guerres...

Il y a là un sentiment de profonde injustice alors qu'il faudrait pouvoir se placer sur deux plans différents, d'un côté celui de la trouvaille, de l'invention, de l'autre celui de l'étude. Il est évident, à la lecture de ce livre, que « les » Toumaï ont été découverts par une équipe de quatre hommes, trois Tchadiens et un Français, dirigés sur les lieux par l'un d'entre eux, Alain Beauvilain, géographe, docteur d'Etat, maître de conférences à Paris X, dont le métier et la parfaite connaissance de cette zone très difficile, qu'il a arpentée au cours de 26 missions de terrain, l'ont conduit sur les lieux de la découverte. C'est l'histoire de cette découverte et des multiples missions de recherche de fossiles qui nous est racontée là. C'est aussi l'historique du passage de ces vestiges de l'anonymat au vedettariat médiatique et du conflit qu'il a engendré entre deux hommes très complémentaires dont il faut regretter le désaccord.

Chacun jugera de l'opportunité qu'il y avait à écrire ce livre, personnellement j'aime bien que les choses soient dites.

Archéologue, Directeur de recherches au CNRS.