JEUDI 11 JUILLET 2002
(N° 18 015)
PRIX 1E (6,56 F www.lefigaro.fr

Comme tout trésor archéologique, le crâne tchadien a aiguisé les appétits de pouvoir des chercheurs et la fierté nationale d’un pays pauvre

Tempête sur un crâne

Se proclamer berceau de l’humanité, quelle aubaine pour l’un des pays les plus pauvres de la planète, plus connu pour sa guérilla du Nord-Tibesti et ses dirigeants musclés comme Hissène Habré. Lorsque, au fil de ces derniers mois, il s’est confirmé que le crâne découvert le 19 juillet 2001, qui avait été montré au premier ministre de l’époque, s’avérait être celui d’un hominidé, les autorités tchadiennes ont tenu à ne pas être écartées de la diffusion mondiale des résultats scientifiques. La découverte s’est faite dans le cadre d’une coopération franco-tchadienne entre l’université de Poitiers, le CNRS, l’université de N’Djaména et le Centre national d’appui à la recherche tchadien. Le président Idriss Déby tenait à ce qu'une conférence de presse soit organisée à N’Djaména. Dans un premier temps, il a fixé la conférence au vendredi 5 juillet, de façon à y être présent, avant de s’envoler pour le sommet africain de Durban.

Une découverte importante signifie la gloire pour son auteur, mais aussi afflux de financements, de contrats d’édition et de diffusion

Panique à Poitiers dans l’équipe de Michel Brunet. Terreur à Londres à la rédaction de la revue Nature. Comment imposer le secret entre le 5 et le 11 juillet, date officielle de la publication de l’article scientifique ? Fait étonnant, le prince s’est incliné devant les règles de la revue britannique.
La tension autour de la découverte était telle que Michel Brunet craignait que Le Figaro, qui avait relaté la découverte l’an dernier en avant-première (1), sans préjuger de la nature exacte du fossile, ne rende compte de l’article de Nature avant la date officielle. Le paléontologue a été jusqu’à envoyer une lettre à la rédaction, par avocats interposés, qui mentionnait «une tentative qui perturbe gravement plus de vingt ans de recherche en Afrique». Les avocats de Michel Brunet entendaient «mettre en demeure de ne faire aucune publication que ce soit dans Le Figaro (...) des informations qui ont été portées à votre connaissance dans cette affaire». Des informations qui, pour une bonne part, sont dans le domaine public depuis un an.
La paléontologie est de longue date marquée par des affrontements. La rareté des sites et des fossiles attise la convoitise et les rivalités. Une découverte importante signifie la gloire pour son auteur, mais aussi afflux de financements, de contrats d’édition et de diffusion. S’y superposent les revendications légitimes des pays dont les fossiles appartiennent au patrimoine national. «Le Tchad mérite d’avoir un musée, plaide Martin Pickford, britannique né au Kenya, qui a contribué à construire un musée de paléontologie dans son pays natal. A Addis-Abeba, capitale du pays de Lucy, «il n’y a rien», déplore-t-il. A N’Djaména, la maison coloniale qui abrite le «musée national» tombe en décrépitude. Une minuscule salle de paléontologie a été joliment aménagée il y a quelques années en partie sur fonds privés. Mais la mâchoire d’Abel est toujours à Poitiers.

Fabrice Nodé-Langlois